Résumé de l’article « Les habiletés olfactives des personnes polyhandicapées » de Geneviève Petitpierre et Juiane Dind (Issu de la Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, Vol. 13, 02/2023)
Le site à consulter : https://polyhandicap.ch/ « Le Petit Conservatoire du Polyhandicap »
L'odorat, c'est quoi ?
C’est la faculté sensorielle liée à l’olfaction, le mécanisme biologique permettant de percevoir les odeurs. Elle renseigne l’individu sur lui-même, sur les autres et sur des caractéristiques de son environnement.
Quelles sont les fonctions de l'olfaction ?
- Moteur de l’attachement entre la personne et ses proches, avec le développement du sentiment de reconnaissance de leurs liens d’intimité et du sentiment de sécurité lié à leur présence (Schaal et al., 2020).
- Participe au bien-être et la régulation de l’humeur. Une « bonne odeur » peut nous renvoyer à des émotions positives, un sentiment de décontraction.
- Aide à mémoriser, reconnaitre et évoquer les lieux que nous fréquentons ou les activités que nous menont (Balez, 2021).
- Fonction d’alarme qui permet l’évitement de situations dangereuses, par exemple lors de contact avec des aliments suspects ou en présence de fumée (Stevenson, 2010).
Le développement de l'olfaction
Le système olfactif est soumis à des stimulations dès les premiers moments de la vie. En effet, le fœtus est déjà confronté, in utero, à un environnement olfactif complexe et variable (Schaal, et al., 1995).
Le liquide amniotique contient de nombreuses substances odorantes provenant des excrétions fœtales et des aliments consommés par la mère (Schaal, 2011 ; Ustun et al., 2022).
La cognition olfactive après la naissance repose sur trois mécanismes principaux (Schaal, 2022) :
- Les expériences prénatales, qui servent à « façonner le potentiel initial de sensibilité, de discrimination, de mémoire, de préférences, et de réponses motrices », constituant ainsi la « boîte à outils » du nouveau-né dès sa naissance (Schaal, 2011, p.46) ;
- L’apprentissage, qui permet à l’enfant d’enrichir ses connaissances et d’affiner sa sensibilité au contact des différentes odeurs.
- Les prédispositions génétiques spécifiques à l’espèce, qui, par exemple, permettent au nouveau-né de s’orienter vers le lait maternel de sa propre espèce (Marlier & Schaal, 1997)
Contexte particulier du polyhandicap
Les odeurs dans la vie des personnes polyhandicapées ?
Les odeurs font naturellement partie du quotidien et des environnements vécus par les personnes polyhandicapées, mais elles reçoivent souvent peu d’attention de la part des accompagnants. Cela peut s’expliquer par deux principaux facteurs.
Tout d’abord, les recommandations sur la manière de stimuler l’olfaction restent limitées, malgré l’apparition de telles pratiques dans les années 1980 au sein de divers programmes de stimulation (Hulsegge & Verheul, 1989 ; Fröhlich, 1987). En réalité, ces recommandations se résument souvent à des suggestions de matériel sans véritable orientation pratique.
Ensuite, les réponses olfactives des personnes polyhandicapées sont souvent difficiles à interpréter. Il est complexe de déterminer si une réaction est bien liée à l’odeur spécifique présentée ou à d’autres stimuli présents dans l’environnement.
Des études exploratoires centrées sur l’olfaction des enfants et jeunes polyhandicapés
Leur but étant de faire progresser la compréhension du traitement des odeurs par les personnes polyhandicapées.
La population dont il est question dans ces études est celle qui répond aux critères clés de la définition proposée par Nakken et Vlaskamp (2007), à savoir des « personnes présentant un fonctionnement cognitif de type présymbolique et concernées par des déficiences motrices sévères ou profondes impactant considérablement leur posture, leurs possibilités d’action et leurs déplacements. »
Trois types d’habiletés ont été observés :
1- La capacité de détecter des odeurs
Les enfants ont montré des réactions clairement différentes entre la condition avec odeur et celle sans odeur. Par exemple, ils ont bâillé beaucoup plus (2,5 fois plus) lorsqu’ils étaient exposés à l’odeur neutre. En revanche, lorsqu’un stylo odorisé leur était présenté, ils restaient au-dessus de celui-ci significativement plus longtemps (1,5 fois plus). Ce comportement se manifestait autant avec des odeurs agréables que désagréables, qu’elles soient alimentaires ou non. De plus, il y avait deux fois plus de comportements de rapprochement dans la condition avec odeur. Des actions comme explorer le stylo avec la bouche, mâchonner, coordonner la main et le nez, ou grimacer, étaient aussi plus fréquentes, bien que de manière moins marquée, avec le stylo odorisé par rapport à l’inodore. Enfin, les reniflements et les tentatives de s’éloigner de l’odeur étaient presque exclusivement observés dans la condition odorante.
2- La capacité de manifester des réactions de plaisir ou de déplaisir au contact d’odeurs : l’appréciation hédonique
Les résultats montrent que, face aux odeurs perçues comme agréables par des adultes typiques, les enfants gardaient leur tête plus longtemps alignée sur l’odorant, souriaient plus intensément (1,5 fois plus longtemps) et produisaient trois fois plus de vocalisations positives.
En revanche, lorsqu’ils étaient exposés à des odeurs jugées désagréables par les adultes, ils
manifestaient significativement plus de grimaces et de moues (2,5 fois plus). Bien que rares, les
réflexes nauséeux n’ont été observés qu’avec les odeurs désagréables. L’étude a également révélé que les réactions hédoniques étaient plus marquées lors de la deuxième exposition aux mêmes
odeurs, ce qui confirme l’idée que les préférences et aversions sont liées à des affects forts,
favorisant une acquisition olfactive rapide et durable (Schaal, 1997).
3- Les capacités d’habituation olfactive
L’habituation désigne la diminution progressive de la réponse à une stimulation sensorielle répétée ou prolongée, sans que cette baisse soit due à la fatigue (Thompson, 2010). Ce processus (neuro)adaptatif est essentiel car il permet de filtrer les stimuli familiers qui n’exigent plus d’attention. Il est considéré comme un reflet du fonctionnement de la mémoire immédiate, de l’attention et de l’anticipation. De plus, l’habituation est perçue comme une condition préalable à d’autres formes d’apprentissage, tout en étant elle-même une forme d’apprentissage (Rankin et al., 2009).
Chez les enfants et jeunes ayant montré des signes d’habituation, on observe un regain d’intérêt lorsqu’ils rencontrent une nouvelle odeur, ce qui suggère qu’ils sont capables de différencier l’odeur familière de la nouvelle. Cet intérêt est mesuré par la durée pendant laquelle ils maintiennent leur tête alignée sur le stylo odorant.
Et en pratique ? Quelles applications dans un contexte polyhandicap ?
L’importance de l’olfaction et les habiletés des personnes polyhandicapées dans cette modalité sensorielle ayant été démontrée, les auteurs font cinq suggestions :
1- « Les odeurs pourraient être plus utilisées comme moyens de transition au niveau de la vie quotidienne, chaque fois qu’une constance ou une régularité est souhaitée.
2- Les odeurs […] devraient davantage être utilisées pour entretenir les liens, augmenter le bien-être et favoriser le sentiment de sécurité et la régulation émotionnelle ;
3- Introduire les odeurs plus systématiquement permettrait d’augmenter les repères olfactifs spatiaux.
4- Les odeurs devraient plus systématiquement être proposées comme alternatives lorsque les indices visuels ou auditifs ne suffisent pas ou sont inaccessibles à la personne ;
4- En sachant que les odeurs circulent dans l’air et que les individus n’ont pas le choix de les sentir, la qualité olfactive des environnements devrait être davantage prise en compte. »